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  • Photo du rédacteurAnna Russaouen

"L'acte d'écrire de victoire m.": un article de marcel sajrapi

Dernière mise à jour : 10 avr. 2019


Article à paraître prochainement dans la revue Pourparlers, n°34, "Penser la littérature à venir et à faire".


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La découverte récente de la figure de Victoire Maracazre et de ses quelques textes qui ont réussi à parvenir jusqu’à nous, tout comme la polémique liée au recours judiciaire entrepris par Anna Russaouen pour l’obtention de textes inédits de l’autrice gardés (sinon cachés) par la famille Maracazre, a attiré l’attention sur cette figure ambivalente, à la poésie souffreteuse et érotique.

Il reste encore à écrire l’histoire de l’autrice – mais non pouvons dès à présent nous permettre une esquisse d’analyse littéraire. Nous nous basons sur sa lettre surnommée « La broche », et son poème de plusieurs centaines de vers, « La jouissance de ton regard », que nous ne pouvons malheureusement pas reproduire ici[1].

Ecrire sur Victoire Maracazre à ce jour revient déjà à s’engager : nous souhaitons, par cette prise de position, faire connaître aux lecteurs de la revue sa poésie en tension entre l’obscène et le symbolique, entre le lyrisme et l’ordurier[2].

Ce qui s’impose au regard du lecteur, après avoir appréhendé les textes, c’est l’agression qu’il subit par le texte, qui naît de la révolte de son autrice, qui insulte à demi le lecteur à force d’invectiver la nature et le monde. L’acte d’écrire de Victoire Maracazre repose en effet sur une révolte : en témoigne son geste fort d’écriture de sa poésie érotique et homosexuelle sur son exemplaire de la Bible. Peindre le corps féminin dans la jouissance et ses convulsions sur les bordures des pages d’une écriture sainte ne peut s’interpréter que dans le geste fort dans lequel s’engage Victoire Maracazre : celui d’une résistance. Mais la poétesse, pendant hargneux de la mélancolie saphiste, nous permet également une réflexion sur le médium même de l’écriture. Nous disposons de trois sonnets courts, écrits au dos de photos familiales, « L’appel », « Blé ocre âcre » et « Ces pâles ombres que tu habites ». Nous pouvons en déduire un trait de l’écriture de l’autrice : refuser, quand cela est possible, le médium de l’écriture, le papier, auquel elle ne s’identifie pas. Son geste est caractérisé par son questionnement perpétuel de sa légitimité d’autrice : ayant appris à lire puis à écrire très tardivement, apparemment autour de son adolescence, par son amie Rosalie[3], elle ne se pense jamais comme quelqu’un qui écrit. Dans son imaginaire, écrire, c’est déjà être auteur – c’est être autre chose, c’est faire partie d’un monde qu’elle rejette, faute de n’y avoir jamais fait partie. Elle n’écrit pas, mais « recopi[e] des pensées ». Et puisque qu’elle n’écrit pas, elle n’écrit pas non plus pour quelque chose, mais contre quelque chose. On retrouve dans son style une contestation, qui va de pair avec un état de tension constant dans son écriture, une fièvre, enfin une immédiateté. Cette dernière est sûrement à lire dans son rapport à l’apprentissage de l’écriture : elle n’apprend pas le mot, mais l’idée, aussi elle se doit de la matérialiser au plus vite, avant qu’elle ne tombe dans l’oubli – l’oubli même dans lequel elle jettera volontairement sa littérature.

Puisque la révolte est initiale dans sa vie, aussi elle va la calquer dans ses écrits. Ainsi, sa conception de la sexualité est pleine, sanglante et mortifère : faire l’amour, c’est déjà mourir un peu. Dans sa poésie, la sexualité est profondément dépendante de la mort – les deux ne s’envisagent pas séparément. Le syncrétisme des concepts chez Victoire Maracazre se retrouve par ailleurs dans l’importance particulière qu’elle accorde à l’idée de communion des âmes qui naît de la communion des corps (« Nos êtres s’en trouveront unis, toi et moi aériennes »). Mais l’inverse n’est cependant jamais vrai : c’est pourquoi elle exècre ainsi son mari et celui de Rosalie.

Cette dépendance des concepts se retrouve également liée à son emploi des images ambivalentes. Ses images se construisent par exemple entre l’idéal et la souillure : « L’obscène de ta mousse se détache de ma misère (…) /Entre le fumier et la fleur ». Son monde fonctionne à contre-temps, et oscille entre sa condition qu’elle rejette et celle de son amante, qu’elle désire jusqu’à en arriver à la détester.

On ne peut lire l’œuvre de Victoire Maracazre sans subir des réminiscences de l’histoire qui a certainement été la sienne. Pareillement, on ne peut considérer la place qu’elle accorde à la mort dans son œuvre que sous l’aspect funeste de son destin. On rêve, à travers la place de la mort et de la fatalité qu’elle taille dans son œuvre, à la fascination qu’elles exercent sur son imaginaire. « Te sentir mourir sous mes doigts » est ainsi chargé de cet érotisme macabre. Mais la lecture de ce vers renvoie aussi à la marque de ses infanticides. Victoire grandit à la campagne, et on imagine son regard fasciné sur la cruauté normalisée car quotidienne, celle des lapins tués aux aurores et suspendus au-dessus de la cuisinière, ou des cris des cochons égorgés dans la grange. Son acte de tuer a peut-être accompli ce que l’acte d’écrire n’a pu qu’esquisser : réaliser pleinement la révolte d’une femme qui n’aura jamais pu que se faire « croquer le cœur » par une existence forcément cruelle, car punitive.

Les lecteurs nous reprocherons sûrement de telles suppositions, que nous nous permettons néanmoins, à juger de l’imbrication apparemment essentielle entre sa vie et son œuvre. Son œuvre et son héritage prêtent à rêver à cette zone d’ombre qui ne sera jamais élucidée, même si la réhabilitation de ses textes (qui est à espérer) a lieu. Penser la littérature, c’est également combler les vides et les mystères d’une écriture par la force littéraire même qu’elle inspire : réutiliser une matière d’écriture pour l’appliquer et la transposer à la figure de son auteur même.

[1] Conséquence de la procédure judiciaire en cours entre Anna Russaouen et Marie Maracazre.


[2] Nous invitons d’ailleurs notre lectorat à signer la pétition en ligne « Pour une interdiction d’interdire la littérature : appel à une restitution des textes de Victoire Maracazre ».


[3] Pour les informations biographiques, nous nous référons aux recherches d’Anna Russaouen.

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